
CEDH vs droit français : le devoir conjugal peut-il encore être invoqué ?
Publié le :
07/03/2025
07
mars
mars
03
2025
Le devoir conjugal, notion traditionnelle du droit français, est-il encore compatible avec les exigences européennes en matière de respect de la vie privée et de liberté sexuelle ?
La récente décision de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) du 23 janvier 2025 (H.W. c. France) met en lumière un conflit entre l’approche jurisprudentielle française et les principes fondamentaux de la Convention européenne des droits de l’homme.
Un arrêt qui condamne l’invocation du devoir conjugal comme fondement d’une faute matrimoniale, et affirme que toute obligation de relations intimes au sein du couple constitue une atteinte au droit au respect de la vie privée.
Le devoir conjugal en droit français : une obligation d’un autre temps ?
Historiquement, la doctrine et la jurisprudence françaises ont considéré que le mariage impliquait des obligations réciproques, parmi lesquelles celle du devoir conjugal.Bien que cette expression ait progressivement disparu des textes, son essence subsiste dans l’article 212 du Code civil qui impose aux époux "respect, fidélité, secours et assistance", de sorte que par le passé, certaines juridictions ont pu sanctionner le refus de relations intimes comme une faute conjugale justifiant un divorce pour faute.
Cependant, cette approche soulève une problématique fondamentale, à savoir : celle de savoir si, à une époque où le consentement occupe une place centrale, il est possible de contraindre juridiquement un époux à des relations sexuelles sous peine de sanctions civiles.
Une interprétation du mariage qui serait alors en effet en contradiction avec l'évolution du droit pénal qui reconnaît explicitement le viol conjugal depuis la loi du 4 avril 2006.
L’intervention de la CEDH : un rappel des principes fondamentaux
Dans l’affaire H.W. c. France, la CEDH a jugé que le prononcé d’un divorce pour faute aux torts exclusifs d’une femme ayant refusé d’avoir des relations intimes avec son mari constituait une violation de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, garantissant le droit au respect de la vie privée.La Cour a considéré que l’invocation du devoir conjugal, dans la mesure où elle implique une forme d’obligation sexuelle, était contraire à la liberté sexuelle et au droit de disposer de son corps.
L’arrêt insiste par conséquent sur le fait que le consentement aux relations sexuelles doit être librement donné à chaque instant, et que le refus d’un époux ne peut constituer une faute justifiant une condamnation civile.
La CEDH rappelle par ailleurs que l’interdiction du viol conjugal en droit pénal perdrait tout son sens si le droit civil venait imposer une obligation de relations intimes sous peine de sanctions.
Vers une remise en cause du divorce pour faute en France ?
La décision rendue par la CEDH le 23 janvier dernier relance le débat sur la pertinence du divorce pour faute en droit français.Si cette procédure est de moins en moins utilisée, elle demeure un fondement juridique permettant à un époux de demander, entre autres, des dommages-intérêts en cas de violation des obligations matrimoniales.
Mais l’arrêt de la CEDH impose une réflexion sur les critères retenus pour qualifier une faute, en ce que l’absence de relations intimes ne devrait plus être considérée comme un motif légitime de faute, sauf circonstances exceptionnelles telles que l’abus ou la manipulation intentionnelle d’un époux à l’encontre de l’autre.
L’arrêt H.W. c. France marque donc une évolution significative en reconnaissant que la vie conjugale ne saurait justifier une obligation sexuelle implicite. Il appartient désormais au législateur et aux juridictions françaises d’adapter leur approche afin de respecter pleinement les exigences conventionnelles.
Référence de l’arrêt : CEDH du 23 janvier 2025, H.W. c. France n°13805/21
Historique
-
CEDH vs droit français : le devoir conjugal peut-il encore être invoqué ?
Publié le : 07/03/2025 07 mars mars 03 2025Articles du cabinetLe devoir conjugal, notion traditionnelle du droit français, est-il encore co...
-
Détention provisoire : un outil de procédure pénale sous contrôle judiciaire
Publié le : 07/02/2025 07 février févr. 02 2025Articles du cabinetPar définition, la détention provisoire constitue une mesure privative de lib...
-
La non-assistance à personne en péril
Publié le : 22/01/2025 22 janvier janv. 01 2025Articles du cabinetLa non-assistance à personne en péril incarne un principe fondamental de soli...
-
Le sursis des personnes physiques en droit pénal
Publié le : 19/11/2024 19 novembre nov. 11 2024Articles du cabinetLorsqu’une peine est prononcée avec sursis, cette mesure permet alors d’en su...
-
Le contrat de prêt entre particuliers : quelles sont les conditions de validité ?
Publié le : 08/11/2024 08 novembre nov. 11 2024Articles du cabinetLe contrat de prêt entre particuliers est souvent perçu comme une alternative...
-
Procédure pénale et obstacle médicolégal
Publié le : 23/09/2024 23 septembre sept. 09 2024Articles du cabinetL’obstacle médicolégal est une réalité incontournable dans la procédure pénal...
-
Est-il possible de contester la validité d’un testament ?
Publié le : 03/06/2024 03 juin juin 06 2024Articles du cabinetLe testament est désigné comme un acte par lequel le testateur dispose, pour...
-
Comment fonctionne le droit au silence ?
Publié le : 02/05/2024 02 mai mai 05 2024Articles du cabinetEn droit pénal, le silence d’une personne suspectée ou interrogée dans le cad...
-
Devoirs et responsabilités du courtier en crédit immobilier
Publié le : 02/04/2024 02 avril avr. 04 2024Articles du cabinetEn ce qu’il constitue un intermédiaire essentiel entre un acheteur et un fina...
-
L'obtention de dommages et intérêts lors d'un divorce
Publié le : 04/03/2024 04 mars mars 03 2024Articles du cabinetLors du prononcé d’un divorce, de nombreuses obligations pécuniaires peuvent...
-
Focus sur le délit d'initié
Publié le : 06/02/2024 06 février févr. 02 2024Articles du cabinetParmi les différents délits d’ordre financier, figure le délit d’initié, spéc...
-
Le droit d'accès aux origines des enfants nés d'une PMA
Publié le : 30/01/2024 30 janvier janv. 01 2024Articles du cabinetDepuis le 1er septembre 2022, les personnes majeures nées d’une assistance mé...
-
Le recours au drone pour la récolte de preuves
Publié le : 16/01/2024 16 janvier janv. 01 2024Articles du cabinetLongtemps utilisés dans le cadre d’opérations militaires, les drones se sont...
-
Le divorce pour altération définitive du lien conjugal
Publié le : 22/12/2023 22 décembre déc. 12 2023Articles du cabinetLorsqu’un couple, sinon un seul des conjoints, souhaite divorcer, à défaut d’...
-
Comment se constituer partie civile dans un procès pénal ?
Publié le : 22/11/2023 22 novembre nov. 11 2023Articles du cabinetLes victimes d’infractions, qu’elles aient subi un préjudice physique, patrim...
-
Le devoir de mise en garde de la banque
Publié le : 17/10/2023 17 octobre oct. 10 2023Articles du cabinetCréation issue de la jurisprudence, le devoir de mise en garde du banquier im...
-
Le délit de subornation de témoins
Publié le : 13/09/2023 13 septembre sept. 09 2023Articles du cabinetJuridiquement, le délit de subornation de témoin constitue une entrave à l’ex...
-
Modalités de calcul et de fixation de la prestation compensatoire
Publié le : 18/07/2023 18 juillet juil. 07 2023Articles du cabinetLa prestation compensatoire prend la forme d’un capital versé par un ex-époux...
-
La nouvelle aide financière aux victimes de violences conjugales
Publié le : 02/06/2023 02 juin juin 06 2023Articles du cabinetFin février, le Sénat a adopté à l’unanimité la proposition de loi visant à c...
-
A quoi correspond la notion de "détenus particulièrement surveillés" en droit pénal
Publié le : 25/04/2023 25 avril avr. 04 2023Articles du cabinetLe droit pénal français distingue un statut spécifique réservé à une certaine...